CaĂŻn ou la naissance du meurtre
Le premier fils du premier homme est aussi le premier criminel. CaĂŻn et Abel sont frĂšres, lâun est pasteur et lâautre agriculteur.
« Abel devint pasteur de petit bĂ©tail et CaĂŻn cultivait le sol. Le temps passa et il advint que CaĂŻn prĂ©senta des produits du sol en offrande au Seigneur, et Abel, de son cĂŽtĂ©, offrit des premiers-nĂ©s de son troupeau et mĂȘme leur graisse. Or le Seigneur agrĂ©a Abel et son offrande. Mais il nâagrĂ©a pas CaĂŻn et son offrande » et CaĂŻn, fou de jalousie, tua AbelâŠ. GenĂšse,4
Pourquoi une telle injustice de la part de Dieu ? Quâest-ce qui sâexprime dans cette reprĂ©sentation dâun Dieu qui nâagrĂ©e pas le sacrifice de CaĂŻn ? Pour RenĂ© Girard puisquâil sâagit dâun comportement humain, il doit trouver son sens et son origine dans lâĂ©conomie de rapports purement humains.
Le sacrifice animal dans lâĂ©conomie de la violence.
La violence intraspĂ©cifique est une caractĂ©ristique de tous les groupes sociaux Ă©voluĂ©s. LâĂ©tude des comportements des animaux a montrĂ© comment lâagressivitĂ© stimulĂ©e par la proximitĂ© spatiale dâanimaux dâune mĂȘme espĂšce trouvait Ă se dĂ©charger sur un objet de rechange. La violence comme pulsion propre Ă toute forme vitale Ă©voluĂ©e a besoin dâun exutoire qui la canalise. Dans le processus culturel, les sacrifices dâanimaux ont rapidement permis de dĂ©tourner la violence interindividuelle sur des objets de substitution. Les victimes animales sacrifiĂ©es Ă©taient choisies dĂ©libĂ©rĂ©ment parmi les animaux domestiques qui avaient le plus de rapport avec lâhumanitĂ© :
« On choisit toujours, parmi les animaux, les plus prĂ©cieux par leur utilitĂ©, les plus doux, les plus innocents, les plus en rapport avec lâhomme par leur instinct et par leur habitude⊠on choisissait dans lâespĂšce animale les victimes les plus humaines, sâil est permis de sâexprimer ainsi »
Donc, quand le rĂ©cit mythique prĂ©cise que Dieu agrĂ©e le sacrifice dâAbel mais nâagrĂ©e pas le sacrifice de CaĂŻn sâexprime que lâimportant est que Abel ne tue pas son semblable parce quâil tue lui-mĂȘme des animaux et dĂ©charge ainsi sa violence sur les animaux sacrifiĂ©s, alors que CaĂŻn, ne bĂ©nĂ©ficiant pas dâun tel expĂ©dient, tue son frĂšre.
EXTRAITS D’UN ARTICLE Ă LIRE INTĂGRALEMENT SUR LE SITE PHILOPHIL
La conscience
N’oublions pas le poĂšme de Victor Hugo qui nous a aidĂ© pour les textes de cette BD :
Lorsque avec ses enfants vĂȘtus de peaux de bĂȘtes,
EchevelĂ©, livide au milieu des tempĂȘtes,
Caïn se fut enfui de devant Jéhovah,
Comme le soir tombait, lâhomme sombre arriva
Au bas dâune montagne en une grande plaine ;
Sa femme fatiguĂ©e et ses fils hors dâhaleine
Lui dirent : « Couchons-nous sur la terre, et dormons. »
CaĂŻn, ne dormant pas, songeait au pied des monts.
Ayant levĂ© la tĂȘte, au fond des cieux funĂšbres,
Il vit un oeil, tout grand ouvert dans les ténÚbres,
Et qui le regardait dans lâombre fixement.
« Je suis trop prÚs », dit-il avec un tremblement.
Il réveilla ses fils dormant, sa femme lasse,
Et se remit Ă fuir sinistre dans lâespace.
Il marcha trente jours, il marcha trente nuits.
Il allait, muet, pùle et frémissant aux bruits,
Furtif, sans regarder derriĂšre lui, sans trĂȘve,
Sans repos, sans sommeil; il atteignit la grĂšve
Des mers dans le pays qui fut depuis Assur.
« ArrĂȘtons-nous, dit-il, car cet asile est sĂ»r.
Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes. »
Et, comme il sâasseyait, il vit dans les cieux mornes
Lâoeil Ă la mĂȘme place au fond de lâhorizon.
Alors il tressaillit en proie au noir frisson.
« Cachez-moi ! » cria-t-il; et, le doigt sur la bouche,
Tous ses fils regardaient trembler lâaĂŻeul farouche.
CaĂŻn dit Ă Jabel, pĂšre de ceux qui vont
Sous des tentes de poil dans le désert profond :
« Etends de ce cÎté la toile de la tente. »
Et lâon dĂ©veloppa la muraille flottante ;
Et, quand on lâeut fixĂ©e avec des poids de plomb :
« Vous ne voyez plus rien ? » dit Tsilla, lâenfant blond,
La fille de ses Fils, douce comme lâaurore ;
Et Caïn répondit : « je vois cet oeil encore ! »
Jubal, pĂšre de ceux qui passent dans les bourgs
Soufflant dans des clairons et frappant des tambours,
Cria : « je saurai bien construire une barriÚre. »
Il fit un mur de bronze et mit CaĂŻn derriĂšre.
Et Caïn dit « Cet oeil me regarde toujours! »
Hénoch dit : « Il faut faire une enceinte de tours
Si terrible, que rien ne puisse approcher dâelle.
BĂątissons une ville avec sa citadelle,
Bùtissons une ville, et nous la fermerons. »
Alors TubalcaĂŻn, pĂšre des forgerons,
Construisit une ville énorme et surhumaine.
Pendant quâil travaillait, ses frĂšres, dans la plaine,
Chassaient les fils dâEnos et les enfants de Seth ;
Et lâon crevait les yeux Ă quiconque passait ;
Et, le soir, on lançait des flÚches aux étoiles.
Le granit remplaça la tente aux murs de toiles,
On lia chaque bloc avec des noeuds de fer,
Et la ville semblait une ville dâenfer ;
Lâombre des tours faisait la nuit dans les campagnes ;
Ils donnĂšrent aux murs lâĂ©paisseur des montagnes ;
Sur la porte on grava : « DĂ©fense Ă Dieu dâentrer. »
Quand ils eurent fini de clore et de murer,
On mit lâaĂŻeul au centre en une tour de pierre ;
Et lui restait lugubre et hagard. « à mon pÚre !
Lâoeil a-t-il disparu ? » dit en tremblant Tsilla.
Et Caïn répondit : » Non, il est toujours là . »
Alors il dit: « je veux habiter sous la terre
Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. »
On fit donc une fosse, et CaĂŻn dit « Câest bien ! »
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans lâombre
Et quâon eut sur son front fermĂ© le souterrain,
Lâoeil Ă©tait dans la tombe et regardait CaĂŻn.