Vingt-et-unes personnes ont Ă©tĂ© traitĂ©es pour des brĂ»lures le mois dernier en Californie, Ă San JosĂ©, aprĂšs avoir marchĂ© pieds nus sur des charbons ardents lors dâun Ă©vĂšnement intitulĂ© « LibĂ©rez le Pouvoir IntĂ©rieur », mettant en vedette le confĂ©rencier-motivateur Tony Robbins. Si vous ĂȘtes comme moi, vous pourriez rĂ©pondre avec un brin de cynisme : Que pensaient-ils quâil se passerait au juste ? En fait, la « marche sur le feu » a un petit secret : le charbon conduit mal la chaleur vers les surfaces environnantes, comme la chair humaine, donc si vous marchez Ă petits pas lĂ©gers et rapides, vous irez bien. Mais M. Robbins et ses acolytes ne sâintĂ©ressent pas Ă la physique. Pour eux, tout est une question dâĂ©tat dâesprit : si vous croyez dur comme fer que le succĂšs est garanti, tout est possible. Un participant roussi mais pas pour autant dĂ©couragĂ© a dit au San Jose Mercury News : « Je nâĂ©tais pas Ă mon meilleur niveau ». Et si toute cette positivitĂ© faisait partie du problĂšme ? Et sâils essayaient trop de penser positivement et feraient mieux de reconsidĂ©rer leur relation aux Ă©motions et situations « nĂ©gatives » ?
Le Grand pouvoir du Chninkel, Jean Van Hamme, Grzegorz Rosinski, Casterman, 2010
Prenez la technique de la visualisation positive, selon la recherche du psychologue Gabriele Oettingen et de ses collĂšgues, la visualisation dâun rĂ©sultat positif, sous certaines conditions, rend moins susceptible dây arriver. La chercheur a dĂ©shydratĂ© les participants de son groupe expĂ©rimental et leur a demandĂ© dâimaginer un verre dâeau fraĂźche. Ceux qui visualisaient de lâeau eurent une diminution marquĂ©e des niveaux dâĂ©nergie, par rapport aux participants qui sâimaginaient des choses nĂ©gatives ou neutres. Imaginer leur objectif semblait dĂ©motiver ceux qui visualisaient lâeau, comme sâils avaient dĂ©jĂ atteint leur objectif.
Le lama blanc, La seconde vue, Alejandro Jodorowsky, Georges Bess, Humanoïdes associés, 1991
Ou prenez les affirmations, ces joyeux slogans destinĂ©s Ă Ă©gayer lâhumeur de la personne qui les rĂ©pĂšte : « Je suis une personne aimable ! » « Ma vie est pleine de joie ! »Les psychologues de lâUniversitĂ© de Waterloo ont conclu que de telles affirmations augmentent le mal-ĂȘtre des personnes qui ont une faible estime de soi â notamment parce que si vous dites que vous ĂȘtes aimable, vous renforcez le contre-argument intĂ©rieur maussade, quâen rĂ©alitĂ© vous ne lâĂȘtes pas.
Le lama blanc, Les trois oreilles, Alejandro Jodorowsky, Georges Bess, Humanoïdes associés, 1991
MĂȘme le fait de se fixer des objectifs, une technique de motivation omniprĂ©sente pour tous les chefs dâentreprise, nâest pas forcĂ©ment bĂ©nĂ©fique. Se fixer trop vigoureusement des buts peut fausser la mission globale dâune organisation dans une tentative dĂ©sespĂ©rĂ©e dâatteindre une cible trop restreinte. Les recherches de plusieurs professeurs dâĂ©coles de commerce suggĂšrent que les employĂ©s qui sont dĂ©passĂ©s par leurs buts risquent davantage de ne pas avoir un comportement Ă©thique.
L’Incal, Ce qui est en bas, Alejandro Jodorowsky, Moebius, Gir, Jean Giraud, HumanoĂŻdes AssociĂ©s, 1983
Bien que la majeure partie de ces recherches soient rĂ©centes, lâidĂ©e essentielle ne lâest pas. Les philosophes et maĂźtres spirituels antiques comprenaient le besoin dâun Ă©quilibre entre le positif et le nĂ©gatif, lâoptimisme et le pessimisme, la recherche de rĂ©ussite et de sĂ©curitĂ© et lâouverture Ă lâĂ©chec et lâincertitude. Les stoĂŻciens recommandaient de « prĂ©mĂ©diter les malheurs, » de dĂ©libĂ©rĂ©ment visualiser les pires scĂ©narios. Cela tend Ă rĂ©duire lâanxiĂ©tĂ© face Ă lâavenir : quand vous vous imaginez avec sagesse Ă quel point les choses pourraient mal tourner, vous rĂ©alisez en gĂ©nĂ©ral que vous pourriez y faire face. En outre, ils ont remarquĂ© que le fait dâimaginer de perdre les relations et les biens dont vous jouissez actuellement augmente la gratitude de les avoir maintenant. En revanche, la pensĂ©e positive penche toujours vers lâavenir, elle ignore les plaisirs prĂ©sents.
Jonathan, Le berceau du Bodhisattva, Cosey, Bernard Cosendey, Le Lombard, 1979
La mĂ©ditation bouddhiste, pourrait-on dire, apprend Ă ne pas cĂ©der Ă la rĂ©flexion positive â et cherche Ă laisser passer les Ă©motions et sensations, quel que soit leur contenu. Elle aurait mĂȘme pu aider ces « marcheurs sur le feu » agonisants. Selon un article de 2009 du Journal de la Douleur, une trĂšs brĂšve formation Ă la mĂ©ditation rĂ©duit beaucoup la douleur â non parce quâon ignore les sensations dĂ©sagrĂ©ables, ou quâon refuse de les Ă©prouver, mais quâon se tourne vers elles sans porter de jugement.
Dans cette perspective, lâincessante joie de la pensĂ©e positive ressemble moins Ă une expression de joie quâĂ une tentative stressante dâĂ©radiquer toute trace de nĂ©gativitĂ©. Un penseur positif ne peut jamais se dĂ©tendre, de peur quâun sentiment de tristesse ou dâĂ©chec ne sâinsinue. Et se dire que tout doit fonctionner est une piĂštre prĂ©paration aux moments oĂč ce nâest pas le cas. Mais si vous insistez, vous pouvez essayez de suivre le cĂ©lĂšbre conseil de dĂ©veloppement personnel consistant Ă Ă©liminer le mot « Ă©chec » de votre vocabulaire â mais alors vous aurez simplement un vocabulaire inadĂ©quat lorsque surviendra lâĂ©chec.
Le lama blanc, La quatriÚme voix, Alejandro Jodorowsky, Georges Bess, Humanoïdes associés, 1991
M. Robbins aurait encouragĂ© les « marcheurs sur le feu » Ă penser aux charbons ardents comme de la « mousse fraĂźche ». Une meilleure idĂ©e serait de les voir comme des charbons ardents. Et comme lâa dit un capitaine des pompiers de San JosĂ©, lui-mĂȘme un sage philosophe, Ă The Mercury News: « Nous dĂ©conseillons aux gens de marcher sur des charbons ardents. »
LIRE LâARTICLE INTĂGRAL, DONT SONT TIRĂS CES EXTRAITS, SUR ESPRIT, SPIRITUALITĂ, MĂTAPHYSIQUE